Créer une équipe Content design & localisation, pour une expérience contenu end-to-end

Créer une équipe Content design & localisation, pour une expérience contenu end-to-end

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Dans cet épisode du podcast UX Content Craft, Apolline Rouzé* (animatrice du podcast), Senior UX writer et co-fondatrice de Lorem UX writing, échange avec Sophie Ianiro, Content Design Lead, sur la création de l’équipe contenu UX chez BlaBlaCar et son rôle de Lead.

*Pour éviter de parler de moi à la troisième personne dans cet article, permettez-moi d’utiliser la première personne du singulier 😊

Créer une équipe Content design & localisation, pour une expérience contenu end-to-end

Pour ce nouvel épisode de podcast, j’ai le plaisir d’échanger une seconde fois avec Sophie Ianiro.

J’ai rencontré Sophie en novembre 2020, elle était la première UX writer à intervenir sur le podcast pour expliquer ce métier. Depuis, elle a fait un bon bout de chemin !

Après une expérience chez Doctolib, elle a rejoint BlaBlaCar en août 2021, en tant que Content designer.

En octobre 2022, elle a eu l’opportunité de créer une équipe sur-mesure, et elle devient ainsi Content Design Lead.

Une équipe qui peut sembler atypique, mais qui fait finalement complètement sens.

Atypique, parce que c’est une organisation qui est peu ou pas du tout rencontrée dans la Tech.

Qui fait complètement sens, parce qu’elle regroupe les expertises liées au contenu produit : le content design et la localisation.

Lors de sa prise de poste, l’équipe de Sophie se constituait de 2 Content designers. Logique.

Et, alors que les 2 Localisations managers était dans l’équipe Tech, elle les a rapatriées dans sa propre équipe.

Aujourd’hui, l’équipe contenu se compose donc de 2 Content designers et de 2 Localisations Managers.

  • Dans cette conversation, on revient sur le pourquoi et le comment de la création de cette équipe.
  • Sophie nous éclaire sur le job de Localisation manager, encore peu répandu dans les entreprises.
  • Elle nous éclaire aussi sur son propre job de Lead, à la tête d’une équipe aux deux expertises proches par leur dimension contenu et en même temps éloignées. Une équipe dans laquelle elle essaye de jongler entre un métier qu’elle a exercé pendant des années - le content design - et un métier qu’elle a côtoyé - la localisation.
  • Sophie nous partage les impacts de cette restructuration au sein de son équipe, auprès des autres équipes, design et produit notamment, et au service de la conception de l’expérience dite end-to-end chez BlaBlaCar.

Bonne lecture ! ☕

🎧 Si vous préférez écouter l’épisode de podcast que le lire en article, rendez-vous sur votre plateforme d’écoute préférée.

→ Écouter l’épisode du podcast UX Content Craft

Interview — Sophie Ianiro, Content Design Lead chez BlaBlaCar 🎙️

Apolline — Bonjour Sophie ! Je suis ravie de t'accueillir une seconde fois sur le podcast UX Content Craft. Nous avons enregistré un premier épisode ensemble en novembre 2020. C'était la première fois que j'accueillais une UX writer, qui introduisait le sujet de l'UX writing. Depuis le temps, quel a été ton parcours dans l'UX writing ?

Sophie — Maintenant que tu le dis, je m’en souviens, c’était l’une des premières fois pour moi où je parlais ouvertement d’UX writing en tant qu’UX writer en poste.

En novembre 2020, j'étais chez Doctolib depuis 10 mois, j’étais la première et unique UX writer. À ce moment, si je ne dis pas de bêtises, j'étais en train de recruter la première personne de mon équipe. D'ailleurs, de leur côté aussi, ils ont fait pas mal de chemin, parce que l’entreprise et l’équipe Content design a bien grandi. Je crois qu’elle se compose maintenant de 5 ou 6 UX writers. C'est génial de voir que l'équipe a continué de grandir et que l'UX writing a gardé une place importante.

De mon côté, j'ai rejoint BlaBlaCar en août 2021, en tant que Content designer. Il y avait déjà une petite équipe en place. D’ailleurs, il y a presque toujours eu des Content designers. En tout cas, cela fait des années que l'expertise existe chez eux, donc je n'ai pas eu à rejoindre un terrain où il fallait tout construire.

Et, de la même façon, j’ai commencé en tant que Content designer et j'ai fini par construire une équipe.

Apolline — Pour poser un peu le contexte, peux-tu nous parler du périmètre de l'expérience BlaBlaCar ? De manière assez globale, où commence-t-elle et se termine-t-elle ?

Sophie — C'est une bonne question. Chez BlaBlaCar, on a une approche qui est un peu différente par rapport à ce que j'ai connu ou en tout cas par rapport à ce que j'ai entendu sur le marché. On parle d’expérience end-to-end.

L'expérience ne se passe pas uniquement dans le produit. L'utilisateur vient sur BlaBlaCar pour réserver un covoiturage ou un bus. Mais, la finalité de son expérience, c'est de voyager, c'est d'aller d'un point A à un point B.

L'expérience, il faut la visualiser dans un contexte plus réaliste. Ce n'est pas juste notre produit, elle concerne aussi les moments où tu attends ton covoiturage, tu retournes sur l'application, tu as encore des interactions avec le produit, tu n’es pas encore dans la voiture, après tu rentres dans la voiture, tu en sors, et tu as encore des interactions avec le produit, etc. C’est beaucoup plus vaste que ce que j'ai connu jusqu'à maintenant. On ne va pas juste prendre en compte la fonctionnalité. Et ça, c'est très nouveau pour moi. On prend aussi en compte toutes les interactions qu'on appelle transactionnelles, c'est-à-dire les e-mails, les push notifications et les messages inbox. Une fois que la personne est sortie du produit, on doit continuer à interagir avec elle. Et cela, c’est inclut dans le périmètre du ou de la Content designer.

Quand on arrive chez BlaBlaCar, c'est hyper important de comprendre cet aspect end-to-end de l'expérience.

Apolline — Comment s'organise l'équipe Produit et Design chez BlaBlaCar ?

Sophie — Si je prends le cheminement dans l'autre sens, où se situe le Content design ? C'est quelque chose qui m'avait surprise quand j'ai rejoint BlaBlaCar, parce qu’à la différence de Doctolib, où le content design était dans l'équipe Design, le content design chez BlaBlaCar est dans une autre sous-équipe de l'équipe Produit. Cela me questionnait beaucoup quand j'ai rejoint BlaBlaCar, j’avais presque peur : si on n'est pas au sein de l'équipe Design, cela pouvait tout changer quant à l’importance du contenu et quant aux moments de sa conception. En réalité, ça ne changeait rien.

Donc, si je reprends dans le bon sens, on a l'équipe Produit, qui regroupe les Product managers. Ensuite, il y a deux autres équipes dans cette équipe produit : le Product design, composée de tous les Product designers, et le Product engagement, où se trouve l’équipe Content design, l’équipe Product marketing, l’équipe CRM et la research.

Cette équipe Product engagement regroupe donc plusieurs expertises qui sont aussi importantes dans les différents projets et dans l'équipe Produit en général.

Et, finalement, ne pas être dans l'équipe Product design fait que tu crées des synergies avec d'autres expertises, que je ne connaissais pas vraiment. Par exemple, je n'ai jamais travaillé avec des Product marketeurs avant BlaBlaCar.

Je me suis rendue compte que la synergie avec le Product design en tant que Content designer, je n’avais pas besoin de la créer. Elle est naturelle, elle est évidente. Ne pas être dans la même équipe permet de me dire que cette collaboration est acquise. Par contre, il y a toutes les autres collaborations à construire : recherche, CRM, marketing, etc.

Apolline — Si cette maturité de collaboration entre Content designer et Product designer n'était pas acquise, cette organisation ne fonctionnerait pas forcément. C’est génial de pouvoir créer d’autres synergies et ‘dé-siloter’ les autres expertises, pour créer une vraie collaboration avec les Product managers et l’équipe CRM.

Aujourd'hui, ton équipe est constituée de deux Content designers et deux Localisations managers, si je ne me trompe pas. Comment as-tu créé cette équipe ? Tu es arrivée en tant que Content designer, puis tu es devenu Lead, donc, cela veut dire qu’il y a eu une création d'équipe. Comment cela s'est-il passé ?

Sophie — Avant de créer l'équipe Content, il y a toujours eu de la localisation et toujours eu du content design, mais ces deux expertises étaient dans des équipes différentes. Content design, c'était une, deux ou trois personnes plutôt indépendantes, dans l'équipe Produit. La localisation était portée par deux personnes, au sein de l'équipe Tech. Idem, ces deux personnes n’avait pas de manager. Pourquoi étaient-elles dans l’équipe Tech ? Probablement parce qu’elles intervenaient au moment de la livraison, du développement. Alors que le content design intervenait lors de la discovery.

Nous avons un sujet commun : le contenu. On avait beaucoup d'échanges au quotidien sur l'importance de la cohérence de ce contenu. La matière de la localisation, c'est le contenu source que le Content design produit. Il est donc essentiel qu'il soit de bonne qualité, pour ne pas dire irréprochable. Tu ne traduis pas un contenu qui n'est pas qualitatif, parce que sinon, tu dépenses du temps et des ressources, donc de l'argent, pour le retravailler.

Aussi, on a une documentation interne commune, comme le glossaire, le style guide, le tone of voice, etc. Ce sont des éléments que l’on partage et qui doivent être co-construits ensemble, d’autant plus que le contenu source va être localisé dans plus de 20 langues. Il faut vraiment un alignement entre nos expertises.

Donc, cela a été une évidence de fusionner ces deux équipes, pour qu'elles construisent une équipe content. On se rendait compte que ne pas être dans la même équipe, cela créait des silos et cela demandait un effort de créer des process entre nous pour s'aligner. Être dans la même équipe, c’était beaucoup plus simple.

Apolline — En faisant cela, tu intègres vraiment la localisation dans la conception de l'expérience. Il n'y a pas souvent de Localisation manager dans les équipes, mais ce qui existe un peu plus, c’est l’expertise UX writing ou Content design, qui crée l'expérience en anglais, dans une boîte telle que BlaBlaCar. Lorsque l'expérience est conçue, on passe en delivery, donc développement et localisation. Et cela peut pêcher en termes d’expérience. Rassembler ces deux expertises, c’est la garantie de conserver l’UX, en anglais et dans les langues cibles.

Sophie — Oui, et puis même du côté Content design, la localisation nous apporte une expertise que l’on n'a pas mais dont on a besoin au niveau du contenu source. Par exemple, écrire dans un anglais qui soit relativement neutre, pour que le contenu soit traduit dans plusieurs langues. L’anglais doit donc être bon, neutre, sans jargon.

Nous avions aussi d’autres questions sur le choix des noms des fonctionnalités, par exemple. Est-ce qu'on les traduira ? Est-ce que le nom qu'on définit avec les Product marketing managers fonctionne au Brésil, en Espagne, en Italie, en France ? Nous travaillons avec la localisation sur ces sujets, c'est important d’avoir cette expertise parce qu’elle a de meilleures connaissances d'un point de vue local, et des besoins sur la localisation et la traduction.

Le fait d'être dans la même équipe fait que les choix de contenus et de mots se répercutent assez vite sur la traduction. Les deux ou trois mots que tu vas choisir font partie des choses que l’on documente au fur et à mesure pour éviter qu’en traduction, on se repose dix fois la même question : est-ce qu'on dit ça ou ça ?

Cela va plus vite le fait d’avoir une grande proximité, de se parler toutes les semaines, d'avoir une dynamique d'équipe où les deux expertises sont au courant de ce que chacune fait en amont et une fois que c'est délivré. D’ailleurs, quand le contenu a été délivré, on vérifie qu’il soit qualitatif dans toutes les langues par rapport à ce qui a été décidé en conception. On est assez réactifs si jamais on voit que quelque chose ne fonctionne pas, et c'est très confortable. Parce qu'il n'y a rien de pire qu'un designer qui repère une erreur mais perd son temps à la corriger, alors que côté localisation, ils ont une très bonne connaissance de notre outil de gestion de contenu et de localisation. Tu as les bonnes personnes dans la même équipe pour faire une correction si c'est nécessaire.

Apolline — Ce qui me fait me demander : quelle a été la réaction de l’équipe Tech en détachant la localisation ?

Sophie — On n'a pas eu besoin de convaincre qui que ce soit que c'était une bonne idée. J'ai l'impression que ça s'est fait plutôt naturellement, ça n’a choqué personne de créer cette équipe et de changer la localisation d'équipe. La synergie avec la Tech continue d’exister. On n'a pas besoin de continuer à entretenir cette relation, elle existe, les process existent, tout a été construit.

Avoir la localisation dans l'équipe Produit lui donne plus de visibilité et d’importance. C'est un métier dont on ne parle pas souvent. C'est un métier qui n'est pas visible et dont les spécialistes ou les experts ne prennent pas forcément autant la parole qu'en Content design.

Savoir qu'il y a une équipe Localisation dans l’équipe Produit permet de sensibiliser assez tôt dans les projets sur les enjeux de localisation. Par exemple, cela permet de dire qu’on ne va pas utiliser ce composant-là parce qu'en anglais, c'est déjà super long, et en italien, c'est encore pire, et en portugais, en brésilien, ce n’est pas mieux.

Apolline — Ça a beaucoup plus de poids, clairement. Si on reste sur cette expertise, concrètement, que font les Localisations managers ?

Sophie — On n'a généralement pas une bonne connaissance de ce métier. Les Localisation managers qui sont dans mon équipe ont plusieurs casquettes, mais qui ne sont pas nécessairement les mêmes, et ça je trouve ça hyper intéressant.

Il y a évidemment la partie Localisation management où tu vas récupérer le contenu source, mettre en place des process pour pouvoir l’envoyer au bon format à différents traducteurs et traductrices, puis le récupérer et l'implémenter, et faire en sorte que ce soit délivré sans accroc, de manière rapide. C’est un des points clés de la localisation : intégrer dans le process de delivery sans la ralentir. Il faut suivre une cadence de développement. Il est donc essentiel que le contenu source soit très bon pour qu'on n'ait pas à le traduire deux fois.

Le Localisation manager est aussi en charge de la partie outils et process : comment on automatise une partie des process ? Comment on les fluidifie ? Comment on fait en sorte qu'on utilise les bons outils ? Qu'on intervienne au bon moment et de la bonne manière, etc. ? Comme c'est une expertise qui existe depuis un petit moment déjà chez BlaBlaCar, c'est assez rodé. Mais il faut toujours remettre en question et ne pas rester sur des acquis.

Après, évidemment, il y a aussi toute la partie cohérence et homogénéité du contenu, grâce à la construction de la documentation : comment tu t'assures que les traducteurs et traductrices aient les bonnes infos, appliquent le bon tone of voice, utilisent les bons mots, connaissent les mots à ne pas utiliser, etc. Il y a la documentation et aussi toute une éducation à faire avec les traducteurs et traductrices.

Enfin, il y a aussi de la communication à réaliser en interne, notamment en binôme Content design et Localisation, pour sensibiliser sur l'enjeu du contenu, sur son impact dans le produit, et son impact lorsqu’il est localisé, etc. On essaie de donner de la visibilité à ce qu'on fait, parce qu’on a une responsabilité de A à Z du contenu - du moment où on l'écrit, on le crée, jusqu'au moment où il est entre les mains de l'utilisateur.

Apolline — Maintenant, si on s'intéresse plutôt aux Content designers, quel est leur rôle ? Ils ne sont que deux, donc je suppose qu’ils ne peuvent pas être partout. Comment s'articule leur expertise et leurs missions ?

Sophie — Oui, on n'est jamais aussi nombreux que les Product designers, qui ne sont jamais aussi nombreux que les Product managers, c'est une réalité, et ce dans toutes les entreprises.

Après, je ne suis pas convaincue qu'on ait besoin d'un ou d’une Content designer pour chaque projet, parce qu’en réalité, il y a des projets qui ont un enjeu plus important que d’autres ou un impact différent, que ce soit pour l’entreprise ou pour l'utilisatrice. On ne peut pas mettre tous les projets au même niveau et on ne peut pas avoir la même implication dans tous les projets. Il faut en être conscient et il faut l'accepter en tant que Content designer. On ne peut pas être partout et on n'a pas vocation à être partout. Et moi, en tant que manager, je n'ai pas envie de mettre des Content designers partout. Il faut donc prioriser.

Sur les projets qui sont clés et qui sont importants pour l'entreprise, le Content designer est membre du working group. Un working group est constitué d’un ou d’une Product manager, d’un ou d’une Product designer, d’un ou d’une Content designer, et parfois d’un ou d’une Product marketing manager. Souvent, quand il y a un Content designer, il y a une PMM. On intervient alors dès le début du projet. On va ainsi définir le problème qu'on essaie de résoudre, définir les indicateurs de succès, et définir ce qu'on appelle le claim. Ce claim constitue en quelque sorte les premiers éléments narratifs de la fonctionnalité.

Le Content designer est bien évidemment impliqué dans la phase d'exécution, pour concevoir le contenu.

J’ai tendance à dire que le job du Content designer, c'est 80% de réflexion et de stratégie et 20% d'exécution. Chez Blablacar, ces 80% on les passe avec le designer, le PMM et le PM. Et les 20%, c'est le moment où on va concevoir en binôme avec la designer dans Figma.

Il y a bien sûr aussi la création de la documentation, comme le Content system.

Et, pour faire le lien avec ce qu'on disait tout à l'heure sur la localisation, le job de Content designer, c'est aussi évangéliser et éduquer les équipes, qui n'ont pas forcément besoin d’une Content designer pour leur projet, à être capable de créer un bon contenu. Ce contenu, on le verra de toute façon lors de l’étape de localisation. L'idée, c'est de pouvoir déléguer une partie de la rédaction de ce contenu à d'autres personnes, en s’appuyant sur les guidelines définies dans la documentation et en ayant en tête les contraintes. Les équipes sont ainsi capables de faire une première version très qualitative et qui ne nécessite pas une repasse de notre part ou de l'équipe localisation. Donc notre job, c’est accompagner et apporter du support et des ressources aux autres équipes.

D’ailleurs, selon moi, c'est un peu la seule manière de scaler le content design en interne, sans avoir besoin de recruter : construire des bonnes fondations et des bonnes ressources.

Apolline — Comment s'articule la collaboration entre Content designer et Localisation manager ? Qu'est-ce qu'ils font ensemble ?

Sophie — Eh bien, c'est la première question que je me suis posée quand j'ai pris le rôle de manager ! Sur le papier, on travaille sur le contenu, donc ça paraît évident qu'on soit autour de la même table et qu'on travaille ensemble. En réalité, on n’intervient pas vraiment aux mêmes moments du process et on n'a pas la même responsabilité. Le ou la Content designer crée le contenu source et le Localisation manager s’occupe de gérer la traduction, il ne crée pas le contenu. Le Localisation manager récupère une matière, la transforme et la redonne aux bonnes personnes au bon moment.

Partant de ce postulat, je me suis demandée : comment créer des ponts et faire en sorte qu'il y ait une synergie entre nous ?

Notre enjeu est de faire en sorte que le contenu soit de très bonne qualité, quelle que soit la langue cible. Les process doivent être fluides. L'utilisateur espagnol ne doit pas se rendre compte que ça n’a pas demandé d'efforts d'avoir un contenu en espagnol hyper limpide.

On travaille donc ensemble sur la cohérence et l’alignement, sur le tone of voice et le glossaire, que l’on enrichit progressivement. Dès qu'on voit des petites différences, qu'on n'utilise pas les mêmes mots ou les mêmes verbes, on va faire un travail d'harmonisation, qui est continu. Les outils et les process, on les pense de A à Z pour ainsi créer une synergie.

C'est une force d'avoir ces deux expertises dans la même équipe.

Apolline — Et toi, en quoi consiste ton job de Content design lead au quotidien ? Je t’imagine bien au début de ta prise de poste, essayant tant bien que mal de créer ton équipe et ses missions, posée devant une feuille blanche. (rires)

Sophie — C'est vrai que ce n’était pas une évidence, et puis un des premiers réflexes que j'ai eu a été de me dire que ce type d’organisation existait ailleurs. J’ai cherché, mais je n’ai pas trouvé. Ou alors je n’ai pas assez cherché !

Ce qui est rassurant, c'est que les enjeux de localisation concernent toutes les équipes Content design : à partir du moment où tu crées un contenu dans un produit qui est disponible dans plusieurs langues, tu as cet enjeu de localisation, même si tu n'as pas de Localisation specialist dans ton équipe.

J’ai donc essayé de comprendre comment les autres équipes et comment les autres managers organisaient ces sujets dans leur propre équipe.

Maintenant que j'ai ces expertises dans mon équipe, quelles sont mes missions en tant que Lead ?

La première mission, c’est d’aiguiller la stratégie de contenu du produit. Aujourd’hui, l’équipe Content design a un impact plus fort au sein de l'équipe produit, et on gère le contenu du début à la fin, de la discovery à la delivery. Il faut donc penser la stratégie contenu de façon end-to-end. Il ne s’agit pas uniquement de maintenir la qualité du contenu source, il faut aussi se poser d'autres questions et dérouler une stratégie contenu produit plus globale.

La deuxième mission, c’est bien sûr le management de l’équipe. Je dois m'assurer que les rôles sont clairs pour chacun et chacune, côté content design et côté localisation, qu'ils et elles aient toutes les ressources dont ils et elles ont besoin. Je dois aussi les aider à grandir dans leur carrière.

Ma troisième mission est de créer ces synergies entre deux expertises, pour faire en sorte que la stratégie du contenu avance avec tout le monde dans la même direction.

Je dois dire que cette mission est un challenge. Parce qu'en tant que manager d'une équipe avec deux expertises, il y a forcément une expertise que je maîtrise parce que je suis initialement Content designer. Je dois donc éviter de micro-manager les Contents designers qui sont dans mon équipe, parce que je comprends très bien ce qu'ils font, parce que je n'aurais peut-être pas fait pareil. Je dois leur laisser la place de grandir en tant que Content designers, et je dois leur apporter une aide. En même temps, je suis manager d'une expertise que je maîtrise beaucoup moins, la localisation. Puisque je ne peux pas apporter une expertise, que puis-je leur apporter ? Et ça, j’ai du l’accepter : quand tu as une équipe multidisciplinaire, il y a forcément des disciplines que tu vas moins maîtriser. Et, en tant que manager, tu dois te demander : qu'est-ce que j'apporte à ces personnes si ce n’est pas de l’expertise ?

Je suis assez convaincue que pour être manager, il n'y a pas besoin d'être expert. Dans le cas contraire, le risque est de ne pas réussir à manager ou alors de micro-manager.

J’ai du trouver ma place en tant que manager dans une équipe avec une expertise que je maîtrise très bien, et une autre expertise, la localisation que je découvre. À vrai dire, je pensais avoir une très bonne connaissance de la localisation, parce que chez Doctolib, je m’en occupais pour le marché français, mais arrivée chez BlaBlaCar, je me suis rendue compte de la complexité du métier. Ça m’a sortie de ma zone de confort.

J'essaye donc de leur apporter autre chose que l'expertise. J’apporte une vision produit dont ils auraient besoin, peut-être davantage de ressources, je les aide à construire des ressources, je les challenge, je les aide à résoudre des problème, etc.

Apolline — Un vrai rôle de manager-coach : tu les questionnes, tu les aider à trouver par eux-mêmes, par elles-mêmes une solution.

Sophie — Oui, exactement. Ça fait partie du rôle de manager d'aider les personnes à grandir, à trouver aussi des projets dans lesquels elles excellent, trouver les points d'amélioration et leur donner les bons projets pour leur permettre de s'améliorer, d'apprendre.

Je commence un peu à prendre du recul sur les projets et à me dire c'est mon équipe qui conçoit. Mon rôle est de leur donner toutes les clés, toutes les ressources, tout ce dont ils et elles ont besoin pour mener à bien leur projet et réussir.

Apolline — Et si tu te positionnes en tant qu’experte d’un métier, le risque est de leur fournir la solution. Le job d’un ou d’une manager, c’est d’amener son équipe à trouver par elle-même une solution, en posant des questions.

Sophie — J'essaye en effet de poser des questions plutôt que d'apporter les solutions clés en main. Je ne pense pas que dire ce qu’il faut faire soit la bonne manière de faire, en tout cas pour faire progresser les personnes. J'ai appris de cette manière parce que j'ai été solo, je n'ai pas eu de Content design manager. J’étais managée par des Design directors ou des Lead product designers. C'était des rôles qui ne maîtrisaient pas mon expertise, donc ils me posaient plutôt des questions, ils tournaient le problème dans un autre sens pour m'aider à réfléchir. Je trouve que c'est une manière d'apprendre qui est plutôt intéressante, qui me paraît saine. C’est donc ce que j’essaye de mettre en place : leur apprendre à réfléchir différemment s’ils et elles se sentent bloqués. Ça m'aide aussi à réfléchir et à me poser les bonnes questions avec eux sur comment on fait les choses et comment on améliore les choses.

Apolline — Depuis que cette restructuration d’équipe a eu lieu, qu'est-ce qui a changé dans la manière de travailler, dans la conception et aussi dans les équipes autour ?

Sophie — Cela donne plus de visibilité à la localisation et à ses enjeux. Je pense que ça a aussi donné plus de poids au content dans sa globalité. On n'est pas la petite équipe à côté de toutes les autres. On a une taille qui est assez équivalente au Product marketing par exemple ou à la Research, ou encore au CRM. C'est une équipe qui a aussi grandi en même temps que les autres. Et ça, je trouve que c'est hyper important de le voir et de le constater.

Autre chose qui a changé, ce sont les process de travail. Avant, on avait des process qui coexistaient dans des équipes différentes. Le fait d'avoir rassemblé les deux expertises a remis en question ces process. On a tout remis à plat : est-ce qu'on fait bien les choses aujourd'hui ? Est-ce qu'on a le bon nombre de personnes dans l'équipe ? Est-ce qu'on intervient au bon moment dans les projets ? Cela nous a permis de se poser des questions qu'on ne se serait pas posées si on était restés deux entités bien distinctes. Et, idem, ça a permis de remettre en question les outils, et d'ouvrir des questionnements sur les opportunités. Par exemple, sur les sujets d’IA.

On se pose toutes ces questions ensemble, on a des réflexions communes, que ce soit sur le content design ou sur la localisation. Et puis, encore une fois, c'est une équipe qui a une responsabilité partagée du contenu, et ensemble, on arrive à trouver des solutions. Il y a donc moins ce côté siloté, tel que « ah là c'est tombé dans ton panier, donc c'est toi qui gères ce truc ; là c'est plutôt chez nous, donc c'est nous qui fixons ça ».

Si je prends un peu de recul, je me rends compte qu'aujourd'hui, il y a plus de personnes qui sont identifiées comme étant des content, on va dire. Donc, comme on est plus nombreux, on est plus présents dans l'équipe Produit, que ce soit auprès des PM, des PMM ou encore des researchers. On nous identifie maintenant comme une équipe avancée, et on a plus d’impact.

Apolline — Puisque tu en as parlé, je vais inévitablement te poser la question, que je pose finalement à chaque épisode de podcast. Je fais la personne un peu embêtante en fin de conférence : aujourd’hui, utilisez-vous l’IA ? Et si oui, comment ?

Sophie — Aujourd'hui, on a plutôt une approche exploratoire. On ne peut pas ne pas intégrer l’IA dans une potentielle solution. Ça paraît évident. Mais, on explore des possibilités, que ce soit côté content design ou localisation, d'intégrer l'IA.

On suit aussi de manière assez attentive les tendances.

C'est clairement des questions qu'on se pose et qu'on se posera pendant un bon moment chez BlaBlaCar et dans notre équipe content. Quand tu gères le contenu, tu es obligée de t’intéresser à l’IA et de l’intégrer. De quelle manière, c'est là où il ne faut pas se précipiter.

Apolline — Quelles sont les perspectives d'évolution au sein de ton équipe en 2024 et éventuellement en 2025 ?

Sophie — Je ne veux pas te faire une réponse qui ne veut rien dire, mais de manière générale, il y a toujours des perspectives d'évolution d'une équipe. Je m'interroge toujours sur la manière de scaler une équipe et une expertise, sans forcément recruter. Ce n’est pas la seule manière de faire grandir une équipe, loin de là. Cela ne passe pas non plus par avoir une Content designer ou un Localisation manager dans tous les projets, à tous les niveaux.

Pour faire évoluer l’équipe contenu, il faut d’abord s'interroger sur les projets qui ont été menés : avait-on vraiment besoin d’un Content designer au début, d’un Localisation manager à tel moment ? Est-ce qu'on a partagé les bonnes ressources à toutes les personnes ? Est-ce qu'on est déjà suffisamment alignés entre nous pour produire un contenu qualitatif ?

Aujourd'hui, comme je te le disais, on fait un gros travail sur la sensibilisation en interne : quel est notre rôle ? Quels sont nos niveaux d'implication ? Si on n'est pas impliqué dès le début, comment intervient-on dans les différents projets ?

L’évolution de l’équipe, c’est une question que je me pose très souvent. Comment va évoluer cette équipe dans 6 mois, dans 12 mois, dans un an ? Je n’ai pas une réponse toute faite, mais c’est une réflexion qui est nécessaire, d’autant plus que tout va très vite dans la Tech. Même si on est dans une période assez calme et qu'on n'est plus dans l'effervescence qu'on a pu connaître.

Je parle un peu comme une ancienne, mais la croissance avec des recrutements de 100 personnes par mois, ça c'était avant 2020. Aujourd'hui, on est dans une période où l’on est peut-être un peu plus précautionneux sur l'évolution des équipes de manière générale, et du coup on se pose des questions différemment, je pense.

Apolline — Tu exerces ton métier de Lead à distance, pourtant, on voit de plus en plus de boîtes retourner à la vie de bureau deux à trois jours par semaine, et il y a aussi ce besoin d'avoir les managers au bureau. Est-ce que manager à distance, pour toi, c’est un problème ? Est-ce que ça crée une distance ou des difficultés à manager ? Est-ce une question qui se pose ou pas du tout ?

Sophie — Chez BlaBlaCar, ce n'est pas vraiment une question qui se pose, puisque la culture du remote existe depuis un moment, bien avant le Covid. J’ai toujours connu le travail à distance, même avec des personnes aux postes élevés en termes de hiérarchie. Mon équipe est totalement en remote, il n'y a personne à Paris. D'ailleurs, je suis la dernière à avoir pris le virage du travail à distance, puisque j'ai quitté Paris il y a trois mois.

J'entends que certaines entreprises veulent revenir en arrière, au présentiel. Mais je pense que cela vient surtout d'une peur de perdre une certaine culture d'entreprise, culture où il faut se voir nécessairement et être ensemble dans la même pièce pour créer quelque chose, là où je ne suis pas forcément d'accord. Ce n'est pas non plus ma vision du management d'être présente au bureau pour être entendue et faire mon métier correctement.

Je pense qu'il faut créer une routine, comme se voir en visio tous ensemble une fois par semaine, échanger régulièrement sur des sujets, travailler ensemble.

Je ne comprends pas trop ce retour en arrière, pour être assez honnête. Je ne pense pas que le remote ait prouvé une certaine faille et ait prouvé que ça ne fonctionnait pas au point de revenir en arrière.

Ça m'embêterait d'être dans une entreprise qui impose le présentiel. Exiger des gens de vivre à un endroit précis, cela nous interdirait de recruter qui pourraient vivre à Strasbourg, à Lyon, à Lille, à Marseille, à Bordeaux, etc. Il y a des très bons profils partout en France. Et surtout en Content design et en localisation, qui sont déjà des profils rares. Donc, si en plus tu les restreins à une zone précise, tu mets encore moins de chances de ton côté de trouver la personne qui correspond à ton projet d'équipe, à ton projet d’entreprise.

Apolline — Oui, il y a ce besoin de culture d'entreprise, qui ne fonctionnerait qu’en présentiel. On entend aussi que d’être ensemble physiquement stimulerait la créativité. D’ailleurs, si, vous qui nous lisez, vous avez une étude qui le démontre, je suis preneuse !

On arrive à la fin de l'épisode. Est-ce que tu aurais un ou plusieurs conseils pour des personnes qui voudraient évoluer dans leur carrière et devenir Lead ?

Sophie — Mon premier conseil serait d'accepter un rôle de Lead ou de management si et seulement si il y a un vrai besoin de construire une équipe et de structurer une expertise.

Aussi, il ne faut pas se précipiter en voulant copier un schéma qui existe dans une autre équipe - l’équipe Product design par exemple, où c’est généralement plus structuré, avec un ou plusieurs head of, des leads, etc.

Côté Content design, on n'y est pas encore et il ne faut pas se précipiter à vouloir construire une équipe. On peut très bien avoir trois contributeurs individuels, qui fonctionnent très bien de manière indépendante, sans avoir besoin de construire une hiérarchie.

Est-ce que l'entreprise a besoin de construire une équipe contenu ? Et est-ce que l'entreprise est prête à faire grandir cette équipe ? Construire une équipe de deux personnes pour rester deux pendant cinq ans, ça ne fait pas sens. Et je pense que c'est comme cela qu’on risque d’avoir des personnes qui ne sont pas forcément épanouies dans leur rôle de manager. Pour moi, un rôle de Lead se construit aussi avec les personnes managées, l'entreprise et avec les autres managers.

Il ne faut pas hésiter à challenger les rôles qui sont proposés ou qui sont construits au fur et à mesure.

Mon autre conseil, c'est de se former au management. Quel genre de manager j'aimerais être, quel genre de manager j’aimerais avoir, sont des questions qu’on ne se pose pas vraiment avant de l’être. Les formations de management t'amènent à avoir ces réflexions. Il est essentiel pour une entreprise d'investir dans des formations de management.

Un autre conseil que je pourrais donner, c'est de parler à d'autres managers pour partager des bonnes pratiques. Les choses que tu as expérimentées et que tu n'as pas réussi à résoudre, quelqu'un d'autre l'a vécu aussi. Partager des doutes ou des réussites, c'est hyper important. D'autant plus qu'en France, on a tous et toutes à apprendre des uns et des autres parce qu'il y a des équipes qui évoluent plus vite que d'autres. Ne pas non plus hésiter à échanger avec des personnes aux États-Unis, par exemple. Je pense qu'on fait face aux mêmes problématiques, donc autant se parler et partager.

Je suis très dans l'échange humain, donc c’est ce que je recommande pour passer au management. On gère des humains, et gérer des gens, ça ne s'improvise pas.

Apolline — Totalement d’accord ! Je suis persuadée que c'est par l'échange qu’on apprend le plus. Je l’ai expérimenté moi-même avec ce podcast notamment.

As-tu également des ressources à partager qui t'ont permis d'apprendre sur le management ?

Sophie — Je pense qu’un programme de mentorship est une très bonne idée pour monter en compétences. J'ai participé à Hexagon UX, en tant que mentor et en tant que mentee. Encore une fois, c'est de l'échange humain, et bénéficier d'un accompagnement de proximité m'a beaucoup aidée.

Je suis assez convaincue que les relations humaines, notamment les rôles de management, ça ne s'apprend pas dans les livres. Même s'il y a sûrement de très bons livres sur le management. Un livre, c’est figé, alors que le management évolue tellement vite ! Donc, il faut être assez agile et curieux, et aller découvrir les problématiques d'autres personnes. J'ai rencontré d'autres managers d'équipes contenu, et on essaie de se voir une fois par mois. Cela me permet d’évoluer, de me poser les bonnes questions au bon moment, et de me dire que ce que je fais n'est pas à côté de la plaque ! (rires)

Il y a de très bons livres, mais, mon conseil, c'est de ne pas prendre les livres pour seules ressources. Encore une fois, les relations humaines, ça s'apprend en ayant d'autres relations humaines.

Apolline — Complètement d'accord avec toi.

Est-ce qu'il y a un sujet qu'on n'aurait pas abordé et que tu aurais aimé aborder, ou tu penses qu'on a fait le tour ?

Sophie — Je pense qu'on a fait le tour. Je suis très contente d'avoir pu donner un peu plus de visibilité à ce que fait un Localisation manager. On parle beaucoup de Content design, mais on oublie l'autre aspect du contenu qui est celui-ci. On ne peut pas ne pas en parler, on ne peut pas ne pas considérer cette expertise, puisque la localisation est un enjeu hyper crucial pour les entreprises françaises et européennes. Et je trouve ça dommage qu'on n’ait pas plus de Localisation managers qui viennent nous parler de leur métier dans d'autres entreprises. Donc, je suis très contente de pouvoir parler de cette expertise qui est hyper importante. Merci à toi.

Apolline — Merci beaucoup pour ton partage. Et puis c'est chouette de voir ton évolution depuis le premier épisode !

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