Content Ops : livrer le meilleur contenu produit | Camille Promérat, Content Ops Manager chez Mirakl

Content Ops : livrer le meilleur contenu produit | Camille Promérat, Content Ops Manager chez Mirakl

image
Dans cet épisode du podcast UX Content Craft, Apolline Rouzé* (animatrice du podcast), Senior UX writer et co-fondatrice de Lorem UX writing, échange avec Camille Promérat sur son métier de Content Ops Manager, chez Mirakl.

*Pour éviter de parler de moi à la troisième personne dans cet article, permettez-moi d’utiliser la première personne du singulier 😊

Le métier de Content Ops : entre process, outils et formation pour livrer le meilleur contenu produit

Pour cette nouvelle conversation, j’ai le plaisir d’accueillir Camille Promérat.

Vous avez peut-être entendu son nom ou vu son nom passer sur des sujets liés à l’UX writing, au Content design.

Et pour cause :

  • D’abord, Camille fait partie des pionniers et pionnières de l’UX writing en France. Elle a commencé à pratiquer l’UX writing il y a une petite dizaine d’années, bien avant que le terme fasse son apparition en France.
  • Ensuite, Camille est la co-organisatrice des meet-ups UX Writers FR. D’ailleurs, le prochain évènement a lieu le 29 février, en partenariat avec Nexton, sur un sujet plus qu’intéressant : le Content system.

Mais revenons à Camille. Pendant plusieurs années, elle a évolué en tant qu’UX writer et Content designer en freelance.

En 2022, elle s’est laissée tentée par Mirakl, et a décidé d’y poser ses valises, cette fois en tant que salariée, et… en tant que Content Ops Manager.

Le métier d’UX writer, ou de Content designer, est encore relativement nouveau. Alors, rajoutons une couche à la nouveauté !

Avez-vous déjà entendu parler du métier de Content Ops Manager ?

Non ?

Oui, un peu ?

Tant mieux ! C’est tout l’objet de cet épisode de podcast.
  • C’est quoi, le Content Ops Management ?
  • Quels sont ses enjeux ?
  • Quels sont ses impacts dans les équipes design et produit, et dans le produit lui-même
  • Que fait une Content Ops manager au quotidien ?
  • Pourquoi cette discipline va faire parler d’elle en 2024, et les prochaines années ?

Camille nous répond, enfin répond à mes questions, dans cette nouvelle conversation d’UX Content Craft.

Bonne lecture ! ☕

🎧 Si vous préférez écouter l’épisode de podcast que le lire en article, rendez-vous sur votre plateforme d’écoute préférée.

→ Écouter l’épisode du podcast UX Content Craft

Interview — Camille Promérat, Content Ops Manager chez Mirakl 🎙️

Apolline — Bonjour Camille ! Je suis très contente de t'accueillir sur UX Content Craft, et ce, pour deux raisons. La première, c'est qu'on va parler d'un nouveau métier. Comme si l’UX writing n'était pas encore assez nouveau, on va en rajouter une couche ! La deuxième raison, c'est parce qu'au tout début du podcast, je t'avais déjà proposé de faire un épisode. Mais, à cette période, je n’étais pas la seule à te solliciter. Tu faisais partie des pionniers et pionnières de l’UX writing en France, tu intervenais par-ci par-là pour en parler, on entendait ton nom partout.

Il y a quelques semaines, j’ai renouvelé ma demande. Cette fois-ci, pour parler de ton évolution vers le métier, peu répandu et peu connu, de Content Ops Manager.

Avant de commencer à rentrer dans le vif du sujet, revenons en arrière : quel est ton parcours ? Pas depuis le bac, sinon on va passer l’heure là-dessus (rires). Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment tu es arrivée à l'UX Writing.

Camille — Merci pour l'invitation, ça me touche beaucoup. En effet, on s'était parlé il y a quelques années, et c'est vrai que je m'étais dit que ce n’était pas le bon moment et que c'était intéressant de laisser la place à d'autres voix.

Mon parcours a bien évolué depuis notre premier contact. Pour revenir au début, je m'appelle Camille Promerat, j'ai 37 ans, j'habite en région parisienne et je suis Content Ops Manager chez Mirakl.

Mon parcours est assez classique pour des personnes de notre métier. J'ai un bac littéraire, j'ai fait des études de langue et j'ai obtenu un master, il y a une quinzaine d'années, en industrie de la langue à Paris. À l’époque, c’était un master novateur autour des nouveaux métiers du contenu, que ce soit la traduction, la rédaction technique, la gestion du contenu, etc.

Cela fait une quinzaine d'années que je travaille dans le monde du contenu, et à peu près 10 ans dans la tech.

Apolline — Aujourd'hui, tu es Content Ops Manager chez Mirakl. Pour poser le contexte, est-ce que tu peux nous dire ce qu'est Mirakl ?

Camille — Mirakl est une entreprise française, qui a été créée il y a un peu plus d'une dizaine d'années. C’est une entreprise qui propose une plateforme SaaS à des entreprises du monde du e-commerce, pour qu'elles se lancent dans une activité de marketplace ou de dropshipping.

Même si notre produit cœur est le back-office de marketplaces, on propose tout un écosystème de produits qui va du paiement à la facturation, en passant par la publicité.

Mirakl est un moyen de transformer une activité e-commerce « classique » vers quelque chose de multi-plateformes, multi-modèles.

Apolline — Comment expliques-tu ton métier simplement, non pas à quelqu'un de ta famille, mais plutôt à un ou une designer ou à une personne qui bosse dans le produit ?

Camille — Comme tu le disais, nos métiers du contenu appliqués aux produits peut déjà sembler obscur. Le métier de Content Ops, c'est encore un autre niveau. La chance que j'ai, c'est que le métier d’Ops commence à être connu côté design et produit. Ça aide.

Quand on me demande ce que je fais au quotidien, j'explique que j'aide à mettre de l'huile dans les rouages au niveau des process, des outils, et de la montée en compétences.

Il y a aussi une dimension que j'aime beaucoup, c'est l’ouverture d'esprit. C'est-à-dire que mon rôle en tant qu'Ops, c'est évidemment de « ranger », pour que tout soit au bon endroit et que tout le monde soit le plus efficace possible, mais il y a aussi un côté « ouvrir les chakras ». C'est-à-dire regarder ce qui se passe ailleurs pour éviter que les autres perdent du temps à le faire.

C'est amener les bonnes ressources aux bonnes personnes. C’est proposer des formations en interne ou encore identifier des besoins autour du contenu.

Apolline — Comment sont organisées les équipes chez Mirakl ? Quelle est la structuration, produit et design ?

Camille — L'équipe produit compte une cinquantaine de personnes.

Il faut savoir que, chez Mirakl comme dans pas mal d’entreprises, c’est à l'origine très tech. Il y a une énorme équipe technique et l'équipe produit en fait partie.

Au sein de l’équipe produit, nous avons ce qu’on appelle des piliers : la gestion des commandes, la gestion du catalogue, la plateforme elle-même, la facturation, la publicité... On a un directeur ou une directrice produit pour chacun de ces piliers avec, en-dessous, des Product managers, qui sont à la tête d'une squad. C'est une organisation assez classique.

Récemment, on a aussi lancé des squads de projets sur des initiatives un peu plus transverses. Ces squads sont plus éphémères, c'est-à-dire qu'on sait quand elles vont se terminer. C'est un mode de travail qu'on expérimente.

On est 3 Ops dans l'équipe : un Product Ops, une Design Ops, et moi, Content Ops. On travaille ensemble sur notre propre montée en compétences et sur le recueil des besoins des équipes.

Côté design, il y a un directeur design, puis 3 leads, et chaque Lead designer s'occupe d'un groupe de piliers. Ensuite, il y a les designers qui travaillent sur chaque pilier. En général, un ou une designer couvre 2 à 3 squads, ce qui peut être beaucoup, donc on a des systèmes de priorisation.

Dernier point important : nous avons récemment changé notre regard concernant le design system. Il y a encore quelques mois, une équipe expérience au sein de l’équipe design portait le design system. Mais comme notre design system est arrivé à un certain niveau de maturité, la responsabilité de la maintenance et de la création de nouveaux composants a été dispatchée entre les leads. C'est assez intéressant parce que cela permet de recueillir les besoins au plus près des projets. Cela nous permet d'avoir une sorte de gouvernance avec les leads et notre Engineering Manager sur le design system pour travailler sur les composants et leur évolution ou leur création.

Apolline — Il y a certes la création du design system et même du content system, mais l’enjeu le plus important est comment on le maintient et surtout comment on le fait évoluer.

Dans l’équipe design, il y a combien de personnes à peu près ?

Camille — Alors au sein de l'équipe, nous sommes 12 designers.

Nous n'avons pas d’UX writer ou de Content designer. La responsabilité du contenu est repassée côté PM et UI, suite à une réorganisation des équipes. On avait une équipe rédaction technique qui travaillait sur la partie expérience, mais qui a été rebasculée dans une autre unité et avec d'autres priorités business.

Actuellement, une grande partie de mon travail est de faire en sorte que tout ce qu'on a préparé en termes de guidelines, d'outils, etc., s'adaptent à cette réorganisation.

Les PM et les designers sont formés à l'UX writing et mon rôle, en partie, est de leur proposer les bons outils pour qu'ils et elles conçoivent un contenu le plus optimal possible.

Apolline — Je m'avance un peu dans la partie concrète du métier, mais tu dis que les personnes sont formées à l'UX writing, c'est toi qui les as formées ? Tu les formes en continu ?

Camille — Il y a une formation initiale et une formation continue, oui. Les équipes ont intégré les guidelines de notre content system. Je propose régulièrement des créneaux de co-conception, pour mettre les projets sur de bons rails, parce qu'on se rend compte que c'est souvent là où ça dérape. Ce n'est pas tellement sur la finalisation des textes, mais plus sur la stratégie : qu'est-ce qu'on dit à tel endroit, comment on découpe le contenu, comment on le hiérarchise, etc. C'est un grand enjeu chez nous, cette formation continue.

Et comme je te le disais, mon métier, c'est d'être à l'écoute : quels sont les besoins ? Peut-être qu'il y a quelque chose qu'on a fait il y a six mois qui ne fonctionne pas, qui n'a pas eu l'impact espéré. Donc qu'est-ce qu'on propose pour les aider ?

Apolline — Donc c’est plutôt l’architecture de l'information qui est un enjeu important.

Camille — Oui, c'est un vrai enjeu, et d’ailleurs, je suis en train de réfléchir à comment mieux former à ça, comment planter cette petite graine de créer des wireframes centrés sur le contenu.

Apolline — Rembobinons un peu : concrètement, c'est quoi le métier de Content Ops Manager ?

Camille — Si on doit donner une définition plus concrète, je dirais que mon métier est de faire en sorte que l'organisation fonctionne bien pour livrer le meilleur contenu possible.

Quand je dis contenu, je parle uniquement du contenu de l’interface produit, pas du contenu marketing.

Mon rôle est de me demander : qu'est-ce qu'il faut faire pour que mon organisation et que les personnes dans cette organisation proposent le meilleur contenu possible ? Comment faire en sorte que mon équipe performe au bon niveau ?

Il y a trois piliers dans mon métier.

Le premier pilier, ce sont les process. Il n'y a pas de secret : pour bien travailler ensemble dans une entreprise où il y a une certaine complexité, des personnes qui ne sont pas forcément dans le même bureau, qui ont des niveaux de séniorité différents et des modes de travail différents, il faut trouver un terrain d'entente.

L’un des premiers sujets sur lequel j'ai bossé a été de réfléchir à comment intégrer le contenu au process de création du produit, de création ou d’amélioration de fonctionnalités.

Ce qui est compliqué, c'est qu’un process peut fonctionner le 1er janvier 2023, mais le 30 juin 2023, il est devenu obsolète. Parce que l'entreprise a grossi ou au contraire a réduit la taille de ses équipes, que les exigences sont plus hautes, ou qu'il y a un grain de sable qui s'est glissé.

Il y a donc la création des process, leur mise en place, et également leur évaluation pour pouvoir les faire évoluer. C'est ça qui est intéressant : constamment réfléchir à ce qu'on peut améliorer. C’est vraiment un jeu d'équilibriste. Et c'est comme faire du design : il faut faire des interviews, écouter les gens, émettre des hypothèses, etc.

Pour donner un exemple, en ce moment, on réfléchit à un process plus carré pour la revue des maquettes, que ce soit sur le contenu, le design global, mais aussi le ROI (retour sur investissement) des fonctionnalités.

Je pense qu’établir des process est la première chose à faire, avant même de penser outils, technique pure ou recrutement.

Apolline — Ça permet aussi de mettre en confiance les équipes et peut-être de sortir du « j'aime, j'aime pas », dont vous aviez d’ailleurs fait un meet-up chez UX Writers FR. Chose à laquelle je suis encore beaucoup confrontée dans mes missions ou formations. Certains designers n'arrivent pas à s'aligner et leurs échanges à propos du contenu tournent autour de phrases telles que « ouais, mais moi j'aime pas cette phrase, ou je préfère comme ça ». Alors, très probablement, les process peuvent les mettre en confiance et leur permettre de s’aligner sur le contenu de façon plus logique, en évitant des débats sur des préférences.

Camille — Très bonne remarque. Dans nos process, nous avons mis des jalons de validation lors de chaque phase du double-diamant, à peu près. Alors, on n'y arrive pas tout le temps, mais c'est vraiment quelque chose qu'on essaye de viser : valider que le concept est ok, le wireframe est ok, les maquettes sont ok, etc.

Ça m'amène à mon deuxième pilier qui est l'outillage. L'outillage, c'est quelque chose que tout le monde adore, moi y compris !

Apolline — Le syndrome de l'objet brillant !

Camille — Oui, voilà. On pense qu’un outil va résoudre tous nos problèmes. Évidemment, la réponse est non. Il vaut mieux avoir un processus solide avec peu d'outils et itérer, qu'acheter un outil dont on n’arrivera pas à se servir correctement et qui ne pourra pas servir notre travail, parce qu'on n'a pas les bons processus.

On ne va pas se mentir, l’outillage, c'est une partie qui est passionnante dans nos métiers. Je prends l’exemple de l’IA, qui est un nouvel outil, qu’il faut appréhender et surtout déterminer le besoin avant de s’en servir.

Le gros du travail en termes d'outillage côté contenu, c'est bien sûr le content system. Le content system s'est greffé assez naturellement à notre design system qui s'appelle Roma. On a réfléchi à notre manière de gérer le contenu avec une approche systémique sur deux aspects.

Le premier, ce sont les guidelines. C’est un peu le nerf de la guerre quand on est rédacteur·trice, c'est-à-dire comment on rédige une modale ou une snack bar, par exemple, mais aussi quelles sont nos valeurs design, et quelles sont les règles de grammaire qu'on suit.

Le deuxième aspect, c’est la partie technique du content system. Nous avons créé un CMS, (Content Management System) qui nous permet de gérer nous-mêmes tout le contenu de notre plateforme, sans faire appel aux développeurs ou développeuses. Cela nous permet de modifier la langue source, d'envoyer en traduction, de grouper des chaînes qui ont une logique sémantique ou de grouper des chaînes qui sont au même endroit dans un composant. C’est une sorte de librairie réutilisable. C'est un sujet que j'ai porté chez Mirakl et qui me tient beaucoup à cœur. Il aide au quotidien les équipes, tant techniques que produit. Évidemment, il y a aussi toute la partie localisation.

Au début de notre conversation, on parlait du bac, eh bien j'ai un bac spé math et je trouve que mon métier reflète totalement cette dichotomie personnelle : l'aspect très très technique, scientifique et carré, et l'amour des langues et des mots.

Apolline — Avec Clara, on parlait hier de la science de l'UX writing. Finalement, on travaille sur les mots mais ça reste une science, la science des mots.

Camille — Oui, on applique des principes, des méthodes, on organise le contenu. Et puis, il y a l'aspect beaucoup plus humain, qui est l'amélioration continue de l'équipe. Donc l'idée, c'est vraiment de développer les compétences de chacun, et faire en sorte que les personnes qui ont peu confiance en elles sur la conception du contenu puissent être accompagnées.

Le problème n’est pas le manque de compétences, mais plutôt comment amener les équipes à un niveau au-dessus. De les amener encore plus loin dans leurs compétences. Et ça c’est le troisième pilier de mon métier, une partie que j’adore. Je ne manage personne, mais je peux dire que j’ai un rôle de coach.

Certaines personnes peuvent avoir du stress vis-à-vis du contenu, par rapport à un trauma de l'école ou la peur de mal faire. C’est mon rôle de démystifier le contenu, de faire sauter cette angoisse.

Apolline — Dédramatiser, oui. Et tu arrives à embarquer les équipes design et produit dans tout ce que tu mets en place ? Est-ce qu'ils et elles arrivent à s'approprier les process et les outils ?

Camille — Oui, depuis quelques mois les designers se les approprient. On voit les premiers résultats, on voit aussi des designers qui posent des questions ultra pertinentes par rapport à nos guidelines. Certaines personnes se demandent si les guidelines sont applicables dans tel écran. D’autres vont aller chercher des ressources en externe, puis les partager pour enrichir nos méthodologies.

C'est un travail de longue haleine. Ce n'est pas un travail où tu claques des doigts et ça se fait. Il faut vraiment répéter. L’un des Product directors nous dit toutes les semaines que la répétition fixe la notion. Il ne s’agit pas d’évangéliser la valeur du contenu, nous n’en sommes plus là chez Mirakl, mais il faut amener des connaissances aux bonnes personnes et au bon moment.

Apolline — C’est de la conduite du changement…

Camille — Oui, tout à fait. C'est une autre dimension dans nos métiers. L’UX writer peut être souvent en retrait — pas à juste titre — et devoir se battre un peu pour être écouté, pour être à la bonne place. Dans nos métiers de l'Ops, ça va plus loin : il faut embarquer un grand nombre de personnes, aux expertises différentes, à des niveaux hiérarchiques différents, sur des projets différents.

Apolline — D’ailleurs, comment as-tu été amenée à créer ce job chez Mirakl ? C'était quoi l'enjeu, le besoin de départ ?

Camille — Je suis arrivée chez Mirakl en tant que consultante freelance après mon retour de congé maternité, il y a un peu plus de deux ans et demi. Le point de départ de cette mission, c'était le besoin de poser les bons process et d'avoir une sorte d'état des lieux du niveau et de la maîtrise du contenu en interne.

En arrivant chez Mirakl, j’ai voulu expliquer mon métier, évangéliser sur l’UX writing et expliquer comment l’UX writer collaborait avec les équipes design et produit. Mais au bout de de 10 minutes de présentation, on m'a fait comprendre que je n'avais pas besoin de l’expliquer ni de le mettre en place, parce que le contenu était déjà bien intégré. Je me suis dit ok, là, il va y avoir quelque chose d'intéressant.

La clé dans notre boulot, c'est d'avoir une hiérarchie qui comprend exactement ce qu'on fait, à qui on n'a pas besoin d'expliquer ce qu'on fait. Et moi, j'ai la chance d'avoir un directeur design et une CPO qui ont bossé dans des entreprises où ces fonctions existaient déjà. Donc, ça m'a beaucoup aidée.

En arrivant là-bas, on m'a dit « voilà notre process design, où devrait-on penser contenu ? Comment doit-on organiser la localisation ? Qu’as-tu vu ailleurs et qui nous manque aujourd’hui ? »

Il y avait vraiment une volonté de réfléchir à régler des problèmes qui avaient été identifiés, et de se préparer au scale. C’est quelque chose que je n’avais jamais fait à ce niveau. On m’a challengée — « est-ce que la solution que tu proposes va fonctionner dans un an ? Est-ce qu'elle va fonctionner dans 5 ans ? » Un autre niveau de réflexion s'enclenche.

Les compétences liées au contenu, je n'avais pas tellement à les développer parce qu'elles étaient déjà là. Mais par contre, et c'est la base du métier d’Ops, on m'a demandé de développer des systèmes linguistiques, des process : la mécanique pour que l'organisation roule.

Ce qui est intéressant chez Mirakl, c'est cette capacité à regarder ce qu'on a fait, se dire que ce qu'on a fait ne fonctionne pas, alors on tente autre chose et on fait évoluer ce qu'on a fait.

J'ai eu une grande liberté d’action dès le début. Évidemment, il y avait des personnes à convaincre, une timeline à imposer et un coût à déterminer. Mais, il y avait la place pour organiser le contenu, et ça, c'est très, très appréciable.

Quand on me demande quel a été le déclic pour rejoindre Mirakl pour bosser sur ces sujets-là, je fait généralement le parallèle avec le design system. Un designer arrive dans une entreprise, il a ses guidelines pour utiliser les composants, il a ses composants dans Figma, les devs ont la version développée des composants et ils et elles peuvent travailler correctement. On s'attend à ce que quelqu'un au contenu travaille de manière aussi efficace, alors qu'il n'a aucun de ces outils et qu’il bosse sur plusieurs projets à la fois. Il n'a pas de guidelines, il n'a pas la capacité de réutiliser du contenu existant. Mais, par contre, on lui demande un niveau de qualité identique. Et souvent, ça fait tilt. On se demande pourquoi un métier serait très bien outillé et pas l'autre. Notre métier peut aussi être normé, il peut être accompagné par des outils, des process, des méthodologies. Et au final, ça se passait tellement bien qu'on m'a proposé de rester. J'ai un peu hésité, par peur de perdre en liberté par rapport au freelance. Mais je me suis dit qu’il n'y avait aucune raison d'être moins libre. C’était un blocage dans la tête. J’ai finalement accepté un CDI. Et depuis 2 ans, tout se passe bien.

Apolline — Quand je t'entends parler de Mirakl, je comprends qu’il y a une certaine maturité côté contenu, design, produit et même tech. Ce que je me demande, c'est quand il n’y a pas cette maturité, est-ce qu'il vaut mieux faire du craft en premier, et non pas rentrer dans les process, les guidelines, ou encore les outils ? Tu as envie de donner une cohérence au contenu. Mais, s'il n'y a pas cette maturité design, s’il n'y a pas cette compréhension de la valeur ajoutée du contenu, tu ne sais pas trop comment naviguer dans tout ça.

Camille — Oui, tu as raison. En tant que Content ops, je ne fais pas de production, c'est-à-dire que je ne rédige pas, je ne bosse pas sur les maquettes. C'est évidemment sur le papier : s’il y a besoin de dépanner, je suis toujours là. Mais, je pense quand même que, par défaut, n'importe quel UX writer qui arrive dans une boîte en fait et doit en faire.

Quand on arrive en étant le ou la seule UX writer dans une entreprise, on n'a pas envie de perdre le travail qu'on a fait, on n’a pas envie de perdre cette valeur.

Alors, créer un Google Sheet avec des textes qui ont été validés et que tu pourrais réutiliser, c'est déjà penser en système. Si tu réfléchis à noter quelques guidelines de rédaction pour les partager avec un designer ou avec ta boss pour mieux valider des maquettes, c'est de l'Ops aussi.

L’Ops, ce sont les systèmes qui te permettent de bien faire ton travail. Tu peux faire de l'Ops sur ton propre travail. Ce n'est pas très confortable, mais il n'y a pas le choix de le faire.

Chez Mirakl, on arrive à l’échelle industrielle. Il y a un niveau de maturité assez élevé, parce qu'il y a des exigences qui sont élevées. Mais, on peut commencer tout petit. Tout le monde n'a pas besoin d'un CMS qui gère des millions de mots. Par contre, avoir un Google Sheet bien rangé, qui peut être partagé, avoir un glossaire, un Figjam où il y a une checklist de validation, c'est déjà beaucoup.

Je suis d'accord avec toi : on commence par le craft, quand on est dans une plus petite boîte, parce qu'il faut livrer. Mais par contre, et assez naturellement, on va avoir envie de ne pas perdre son travail.

Je trouve que c'est important de souligner qu'on peut vraiment commencer avec des petites choses.

Apolline — Ton métier commence à bien se dessiner. Pour le préciser encore un peu plus, peux-tu nous parler d’un projet concret que tu as pu mettre en place ?

Camille — Sans grande surprise, je dirais notre content system.

Comme je le disais, il y a un fort aspect linguistique : des guidelines, de règles de rédaction… Et on a aussi l'aspect technique, c’est-à-dire la gestion de tout ce contenu.

L’un des premiers problèmes qu'on m'a remonté, c’est la méconnaissance de ce qu'a produit l'autre rédacteur ou rédactrice comme contenu. C’était compliqué de trouver un message d'erreur standard, cela prenait beaucoup de temps de trouver un contenu type.

Je me suis dit ok, on va faire un fichier unique pour tout rassembler. Et là, je me suis heurtée à l'organisation technique de Mirakl, la manière dont notre système est conçu en termes d'architecture. J’ai du rapidement rebondir et me demander comment faire pour mener mon projet de content system sans freiner les développeurs et développeuses, et sans freiner la vélocité de l'organe technique.

J’ai eu beaucoup de chance parce qu'on m'a mis assez rapidement en relation avec une développeuse sur ce qu’on appelle la dev-expérience. Elle a été mon phare et m'a aidée à concevoir notre système de création et de maintenance de contenu, le fameux CMS.

On a beaucoup travaillé ensemble sur une proposition, sur un outil qui nous semblait idéal, facilement actionnable par les équipes, avec une vraie interface. On est allées le vendre à notre CPO et à notre directeur technique : l'objectif est de faire en sorte qu'on ne dérange plus les développeurs et développeuses, pour que, quand on a besoin de changer un texte, les devs n'aient plus besoin de travailler pendant des semaines sur l'intégration alors qu'ils ont autre chose à faire.

On a réussi à vendre ce projet, à le prioriser, et on a mis à un peu moins de 18 mois entre le moment où je suis arrivée et le moment où on l'a mis en production. Il a fallu imaginer, vendre, créer l'outil, le coder, le designer, le mettre en place, faire le roll-out, faire de l'amélioration continue, etc.

Cet outil nous permet actuellement d'être libres sur notre contenu. Il permet aussi aux devs de mettre la clé dans le code, la valeur en anglais et c’est tout. C’est un gain de temps et aussi un gain de qualité.

C’est l'outil dont je rêve depuis 15 ans ! (rires)

On m'a laissé la possibilité de le construire chez Mirakl. Son impact est traqué. On est maître de notre contenu, on est maître de ce qu'on met sur notre plateforme.

Plus qu’un outil, c'est un véritable produit : il a sa roadmap, il a ses séances de grooming, il a ses designs, etc.

Cet aspect technique est renforcé par nos guidelines contenu, intégrées avec nos guidelines design.

On essaye d'allier les deux, c'est-à-dire faire des ponts entre notre CMS et nos guidelines, et d'avoir une vision sur notre content system, de ce à quoi il va ressembler dans un an.

Aussi, on va bientôt y intégrer une librairie de prompts, et ainsi faire des ponts avec OpenAI. Il y a une réflexion long terme là-dessus.

On a vraiment ce sentiment d'avoir livré un produit utile en interne, qui fonctionne très bien, et qui permet aux équipes d'être plus véloces, d'être plus efficaces. Et d'être plus de tatillonnes sur le contenu.

Cela illustre bien cette culture du partage : tout le monde peut accéder à tout et voir ce qui a été fait sur les autres produits.

Apolline — Tu as abordé le sujet de l'IA. Comme c’est une question qui revient systématiquement quand on parle de nos métiers du contenu, je me permets d’approfondir le sujet. L'IA, est-ce que tu l'utilises pour ton job et aussi pour les équipes ?

Camille — Alors oui, chez Mirakl, il y a vraiment une politique de démocratisation de l'IA. On a régulièrement des formations sur cet outil. Côté contenu, on peut s’appuyer sur ChatGPT pour la génération de contenus. C'est un réflexe que les équipes ont pris naturellement, sans directives Ops, parce qu'il y avait l'envie de bien faire, tout simplement, et de livrer le meilleur contenu. Aussi, je suis en train de réfléchir à comment m’appuyer sur l’outil pour la revue d’une solution. Mais, c'est quelque chose qui est à un stade assez embryonnaire, pour être totalement transparente.

À titre personnel, je n’ai pas utilisé l’IA pour générer du contenu. Par contre, j’ai pu m’y appuyer ces dernières semaines pour notre projet de localisation. J’ai eu besoin de nettoyer notre mémoire de traduction, et j'avais besoin de générer des glossaires à partir de cette mémoire. Je me suis rapidement dit qu’OpenAI pouvait m'aider. Alors, j’ai exploré la génération d'un glossaire, à partir d'un corpus de textes que je lui envoyais, pour voir quelle terminologie émergeait.

C’est vraiment fascinant, enfin moi j'ai une fascination pour les ordinateurs depuis que je suis assez petite. Mon rêve, quand j'étais gosse, c'était d'avoir le livre magique de Sophie dans l'inspecteur Gadget. On appuie sur un bouton et il fait des trucs magiques. Eh bien, c'est un peu ça pour OpenAI. (rires)

Après, comme pour chaque outil, il faut l'utiliser de manière intelligente. Si tu lui dis « coucou, traduis-moi ça », il va faire n'importe quoi. Par contre, si tu lui donnes du contexte, des documents, que tu le cadres, il fait le travail un peu chiant que tu aurais fait à la main, et très efficacement.

Je ne mets pas un mouchoir sur le fait que ça peut être une menace pour des emplois. Mais je pense qu'il faut essayer de dompter cet outil comme on a pu dompter, par exemple, Google Translate pour les traducteurs et traductrices.

J'ai l'impression d'avoir encore beaucoup de choses à apprendre, donc j'essaye de trouver des ressources. J'essaye de me demander comment je peux appliquer l'IA pour, soit aller plus vite, soit m'éviter de faire des tâches chiantes, ou alors pour améliorer l'expérience.

Apolline — C'est vrai que ça peut faire peur, mais je pense qu'une fois qu'on est dedans...

On arrive à la fin de notre échange. J’aimerais continuer dans la notion de prospective. Est-ce que tu dirais que ton job de Content Ops, c'est un peu le futur de l'UX writing ?

Camille — C'est une bonne question. Je pense que les contributeurs individuels seront moins nombreux. Du fait de la conjoncture économique, on ne va plus avoir des entreprises qui vont croître, comme j'ai pu le vivre il y a 10 ans, où on claquait presque des doigts et un poste s'ouvrait, et où il y avait 50 personnes qui arrivaient le lundi matin. Ça, ça n'arrivera plus je pense.

Le challenge est donc de trouver des méthodologies pour travailler de manière efficace sans partir en burn-out. Alors, je pense que nos métiers autour de la systématisation, de la mise en place de process et de l'opérationnel vont devenir intéressants pour les entreprises.

C'est le cas côté contenu, mais c'est aussi le cas côté design, PM ou dev.

On a envie de voir ce qu'une équipe peut faire sans qu'elle scale, pendant trois mois ou six mois par exemple.

Donc je pense que ces compétences de type Ops vont être recherchées.

Si on réfléchit de manière un peu cash, certains aspects de nos métiers vont pouvoir être quasiment automatisés par l'IA. Je n'ai pas dit qu'ils seraient bien automatisés, mais ils vont pouvoir l'être. Typiquement, un designer qui est formé à l’UX writing, qui a déjà des très bonnes bases de rédaction, s'il a un outil d’IA qui lui permet de revoir sa micro-copie, avec des guidelines bétons et un design system béton, il peut très bien se débrouiller.

L’aspect finalisation ou revue peut être grandement facilité par ChatGPT. Par contre, des éléments comme la stratégie, la mesure de l’impact, la mise en place de process, c'est beaucoup plus compliqué. Le change management, ce n'est pas ChatGPT qui va se mettre en hologramme dans ta boîte. (rires)

Je pense que c'est intéressant que les UX writers ou rédacteurs et rédactrices se posent la question de leurs missions dans cinq ans, et se demandent quels sont les aspects du métier qui sont le plus impactant et finalement le plus complexe à gérer.

La réflexion autour des process, recueillir les besoins des équipes, ou recueillir les besoins lors de la recherche utilisateur, c'est un aspect qui en tout cas ne bougera pas dans l'immédiat.

Je ne sais pas si le métier de Content Ops est le futur de l'UX writing, mais c'est un pan qui va beaucoup se développer.

D'ailleurs, si on fait un parallèle, on peut remarquer que ce n'est pas parce qu'il y a des design systems qu'il n'y a plus de designer. Et de même, il faudra toujours l’expertise en contenu.

Apolline — Je posais cette question parce que c'est un parti pris qu'il faut que je commence à assumer, malgré le fait que j'ai adoré mon expérience chez Qonto où je travaillais avec une vingtaine d'UX writers. Je pense plutôt que les boîtes vont s'orienter vers l’embauche d’un à deux UX writers et qu'il y aura ce fort enjeu d'Ops. Du fait du contexte économique, oui, et aussi parce qu'on peut faire monter en compétences les designers sur la partie contenu. Le contenu, les mots, ça fait partie du design, donc on peut se demander si ça relève de la compétence du Product designer ou de l'UX designer. En tout cas, je pense qu'on aura quelques personnes côté contenu qui accompagneront les designers.

On arrive à la fin de l’épisode. Dernière question : est-ce que tu as des ressources ou des outils à partager sur le sujet de l’Ops ? D’ailleurs, je suppose qu’une bonne partie de ton métier consiste à faire de la veille.

Camille — J'aimerais en faire plus !

Il y a un livre que j'ai beaucoup aimé qui s'appelle Leading Content Design, de Rachel McConnell, qui traite de plusieurs sujets.

Je lis beaucoup de contenus sur l'Ops en général : le Product Ops et le Design Ops. C'est comme quand on dit aux rédacteurs et rédactrices de se former au design pour être UX writers. Moi, je me forme un peu plus sur le produit : comme faire une roadmap ou comment prioriser les projets, par exemple.

Côté contenu, j’ai plusieurs ressources en anglais, des blogs, des conférences, etc. Je te ferai une petite sélection.

Apolline — Merci beaucoup Camille, c'était hyper riche ! Et moi aussi, ça me permet de faire ma veille (rires).

Camille — Merci à toi surtout, c'est toujours intéressant de revenir sur son parcours, sur les choses qui ont été accomplies. Quand on est dans le dur, on a parfois l’impression qu'on ne fait pas assez bien, qu’on pourrait faire mieux. Et finalement, prendre du recul pour remettre tout en perspective permet de se rendre compte de tout le travail accompli, donc ça fait du bien !

Apolline — C'est la petite rétro dans ton journal de gratitude ou une séance de psy en même temps ! (rires)

Les ressources Content Ops de Camille 🔍